Ernest Pignon Ernest

Dessin à la pierre noire et à la craie sur impression papier 210g

H.73 x L.60,5 cm

H.89,5 x L.76 cm (avec cadre)

Bio

1942 Naissance à Nice.

1966 Plateau d’Albion (Vaucluse). Ernest Pignon-Ernest découvre que la force atomique française va s’installer à 30 km du petit café qui lui sert d’atelier. Il se met au travail. Incapable de figurer en peinture la force destructrice du nucléaire, il recourt à une photo d’Hiroshima : l’ombre d’un corps annihilé, projetée sur un mur de la ville japonaise. Il reproduira alors ce stigmate mortifère le long des routes des alentours. Ce sont ses premiers pochoirs.

1968 Collage de dessins au Festival d’Avignon, lors d’un happening de la troupe du Living théâtre (Julian Beck et Judith Malina). Collés sur les murs puis lacérés à la lame, ses dessins s’offrent aux gens qui passent et en arrachent des lambeaux.

1988/1995 Pendant huit ans, il arpente Naples, y déployant son œuvre la plus aboutie. Un enchevêtrement de parcours symbolistes et poétiques, convoquant mythologies grecque, romaine et chrétienne, invitant Le Caravage, le Vésuve et sa lave, la figure de la femme.

2015 40 ans après l’assassinat de Pasolini, il colle sur les murs de Rome, Ostia, Naples et Matera une image du poète italien, debout, portant à bout de bras sa propre dépouille.

Libération 2016

Marwan Barghouti

Par Ernest Pignon Ernest (1942, France)

« Cette une m’évoque un homme rencontré il y a quelques années, et disparu depuis : le grand poète palestinien Mahmoud Darwich. J’ai rencontré Mahmoud Darwich, à Paris, par l’entremise d’un ami. Un beau jour, celui-ci me confie que le poète voudrait me voir. J’admire sa poésie et, c’est une évidence, dans ma vie et dans mon travail, je dois plus aux poètes qu’aux peintres. Le lendemain, le voilà donc chez moi. Il m’a dit avoir aimé le parcours Rimbaud, cette sérigraphie noire que j’ai collée sur les murs de Paris, en 1978. Et puis il m’a suggéré de venir travailler chez lui, en Palestine. J’ai dit oui. Quelques jours avant mon arrivée à Ramallah, le 9 août 2008, Mahmoud Darwich est mort. C’est seulement l’année suivante, en 2009, que j’ai décidé de faire ce voyage malgré tout. Pour lui rendre hommage. C’était son tour de devenir parcours : j’ai imaginé sa route, affichant son portrait dans des lieux symboliques de sa vie et de son œuvre. Parmi les étapes de ce parcours Darwich, il y a d’abord eu son village natal. Ou plutôt, ce qui a été son village natal : Birwe – c’est son nom – a été littéralement effacé. Il n’en reste rien, pas même une ruine. C’est un lieu dont l’existence a été délibérément balayée. Une disparition qui est le résultat de cette volonté de nier qu’ici ont été la Palestine et les Palestiniens. Il y a eu aussi le marché de Ramallah, et puis, bien-sûr, Gaza. Les autorités israéliennes m’en ont refusé l’accès. J’ai donc confié cette mission à des artistes locaux. Nous avons déambulé ensemble : eux dans les rues de Gaza, moi dans leur sillage, en direct sur Skype, sur les pas de Darwich, là où nous mettrions nos affches : le café où il avait ses habitudes, le théâtre… Cet hommage à Darwich incarne bien mon travail. D’abord le dessin, un choix éthique, à l’heure où les images défilent à toute vitesse, pour n’exister que quelques microsecondes. Ensuite le format. Tous mes personnages sont à l’échelle 1. Une manière d’affirmer l’humanité, d’instaurer une intimité. Enfin, les lieux. Par leur dimension plastique, par leur qualité poétique, ils sont mon véritable matériau. Mon œuvre n’est pas un dessin, mon œuvre est un lieu dont l’humanité est soudainement exacerbée par un dessin. Lors de ce voyage, en 2009, j’ai pu mettre des images sur la condition du peuple palestinien. Confinés dans des camps depuis 1948, les Palestiniens sont à bout, usés par une existence insupportable. Et absurde : ils vivent à une heure de la mer, et ne l’ont jamais vue. Leur quotidien, c’est la confiscation des maisons et des champs, ce sont les humiliations permanentes. J’ai vu, à un check-point, un vieillard forcé de baisser son pantalon pour vérifier qu’il n’avait pas d’arme. Sous les yeux de sa petite fille. Il a finalement refusé, préférant rebrousser chemin. Aussi, lorsque j’entends Valls parler d’apartheid, il est bon de rappeler qu’aujourd’hui, la seule situation semblable à l’apartheid, c’est la Palestine. Sur cette une, j’ai choisi de représenter Marwan Barghouti, emblématique homme politique palestinien emprisonné depuis 2002 par Israël. J’ai repris cette position particulière, bras en l’air et poignets menottés. Elle est devenue symbolique du personnage, de sa condition de prisonnier politique. Dans le coin inférieur gauche, je fais référence à Mandela. J’ai connu l’Afrique du Sud de l’apartheid. Je me suis d’ailleurs mobilisé contre. A l’époque, en 1980, on m’a dit que je dessinais un terroriste… Le parallèle avec Marwan Barghouti me semble évident. On dit de lui la même chose aujourd’hui. Parce qu’il est un interlocuteur crédible, on le met en prison. Qu’il le veuille ou non, le pouvoir israélien devra pourtant parler avec Barghouti. »

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