Jean-Michel Othoniel

Lithographie et calque sur impression papier 210g

H.74 x L.61 cm

H.89,5 x L.76 cm (avec cadre)

Edition Unique

Bio

1964 Naissance à Saint-Etienne.

1992 Jean-Michel Othoniel présente des œuvres en soufre à la Documenta de Cassel. L’année suivante, il commence à travailler le verre, en collaboration avec des artisans de Murano.

1996 Il est pensionnaire à la Villa Médicis à Rome.

2000 Inauguration du célèbre Kiosque des noctambules, qui transforme la station de métro parisienne Palais-Royal – Musée du Louvre.

2003 L’exposition Crystal Palace donne à voir son œuvre à la Fondation Cartier, à Paris et au MOCA de Miami.

2011 Le Centre Pompidou lui consacre la rétrospective My Way, qui voyage ensuite à Séoul, Tokyo, Macao et New-York.

2015 L’installation Les Belles Danses est présentée dans les jardins du château de Versailles. Jean-Michel Othoniel vit et travaille à Paris.

Libération 2016

Solitaire

Par Jean-Michel Othoniel (1964, France)

« Très peu de unes de Libération représentent une femme, une personne homosexuelle ou un artiste. Cette première de couverture est donc exceptionnelle par son seul sujet. Les médias et les politiques n’accordent guère d’attention à la parole des artistes, dont le regard transversal mérite pourtant qu’on s’y arrête. Ils sont des plaques sensibles, des révélateurs. Écoutez-les ! Certains ont un aspect oraculaire, à l’instar de Chantal Akerman. C’était une grande intellectuelle du XXI° siècle, dans la tradition de Marguerite Duras. C’était une guerrière. À sa mort, j’ai été marqué par le fait que la plupart des nécrologies qui lui étaient consacrées passaient son homosexualité sous silence. Elles n’analysaient pas non plus son suicide, voire n’en faisaient pas état, comme si la cinéaste était décédée tranquillement à 65 ans. J’ai cherché à comprendre son geste. Dans plusieurs interviews, elle évoquait le sentiment de perte de liberté d’expression. Elle expliquait aussi comment la scène de déportation qu’était redevenue l’Europe la bloquait dans sa création et dans sa volonté de témoigner. Comment vivre en tant qu’artiste dans un monde qui s’écroule ? On ne doit pas ignorer un suicide : c’est une dernière question posée. Chantal Akerman, sur cette photographie, semble nous défier. Sans les cris, il est difficile d’exprimer la violence, mais elle passe ici par la beauté, la douceur et l’effronterie du regard. Elle évoque en moi un roman de Raymond Roussel paru en 1914, sur lequel je travaille actuellement, « Locus Solus ». L’auteur, qui s’est suicidé en 1933 en laissant un grand mystère derrière lui, y décrit une femme belle, parce que marquée d’une tâche rouge, à la forme de l’Europe. C’est cette carte du continent qui saigne à nouveau, ce lieu solitaire dont Chantal Akerman parlait à sa manière, que j’ai voulu montrer. Le calque utilisé ici offre une transparence qui interroge la disparition et la mémoire, mais aussi le rapport de l’art au média : comment créer une image de l’intime, à partir d’un document de presse ? Le calque permet aussi de réintroduire la troisième dimension. Je suis sculpteur, et je souhaitais que cette une devienne un objet et une œuvre à part entière. Au-delà de l’exercice proposé, chacun doit pouvoir se réapproprier cette une, et peut-être y trouver sa beauté. Je ne suis pas dans le commentaire. Depuis quinze ans, je travaille au réenchantement du monde : j’essaye de donner des moments de beauté et de merveilleux, pour permettre un autre regard sur les choses. C’est ma responsabilité envers notre société. Cette une revisitée est un hommage à une réalisatrice et intellectuelle engagée, c’est aussi un cri d’alarme sur la place des artistes. Nous, qui dans une grande solitude, pensons le monde. »

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